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Oubliez fanfiction et science-fiction: «Si jamais» reste une serie d’actu-fiction. Avec 1 principe simple: une actu, une fiction. Par Benoit Gallerey.
Deux pas, tout juste, en dehors de l’avion et la pollution le chope a Notre gorge.
L’air vicie picote la langue, badigeonne la glotte, gratte le larynx. L’irritation ressentie jusqu’aux poumons ne quittera plus le visiteur venu pointer le nez en Inde.
Opaques, presents, visqueux, les gaz toxiques –avant de troubler le rythme cardiaque et d’appesantir le cerveau– laissent en bouche un gout metallique.
Sur l’un des gyropodes mis a disposition Afin de traverser le tarmac, Florian Develle avance voute, par reflexe, recroqueville tel si cela le protegeait en pollution. Cela ajuste sur son nez le masque qu’il a pris sur les astuces du robot-stewart avant de descendre de l’avion.
Il va i?tre decu: il ne verra rien de New Delhi. Pour sa premiere visite, c’est rageant. Dans votre smog, Florian localise a peine la tour de controle. De puissants projecteurs l’entourent pourtant, ayant l’air de fragiles allumettes tendues dans cette puree crasse.
Florian relache, de depit, les vents retenus quand il etait dans la carlingue. Cet homme est un boeuf, son inseparable collegue en reste convaincu, mais il serait absurde de lui reprocher un pet dans cet environnement poisseux.
– Quatre semaines. Quatre semaines dans votre enfer, lance Florian, une fois son iris et le index scannes par les autorites. Moi qui ai deja bien moyen les bronches prises. Tu vas m’entendre tousser, Ali-Baptiste!
Si juste Ali-Baptiste ne l’entendait que tousser.
– Quelques ralent que Paris daube, poursuit Florian, bah moi, j’ai hate d’y revenir, tu vois! Respirer le bon air de chez nous.
Ali-Baptiste le connait assez Afin de etre surpris: ce n’est pas du genre de Florian de critiquer ouvertement une decision de la boite. Certes, les missions en Inde ne semblent jamais nos plus reclamees, avec J’ai pollution, mais le commercial Florian Develle execute d’habitude les ordres sans oser rechigner. Soumis. Deja bien content d’avoir votre job.
Le decalage horaire, note Ali-Baptiste, semble le rendre reveche. Pour la defense de Florian, les nanoparticules cancerigenes planant alentour paraissent plus de soixante-dix fois superieures aux normes de l’OMS.
– Meme a l’interieur du terminal, les taux excedent ce que pourront mesurer les appareils, admet Ali-Baptiste. L’equivalent, sans filtre, de trois paquets de cigarettes par jour. – Tu t’en fous, toi, tete d’?uf! Tu respires jamais.
Et Florian le glisse au sein d’ sa poche, le temps d’indiquer au robot-porteur quelle reste sa valise.
Ali-Baptiste a, effectivement, la taille et la forme d’un ?uf de poule. Il semble l’assistant numerique de Florian depuis six annees: votre terminal ovoide en inox brosse, des rayures dues a l’usure, avec une ceinture de diodes, cameras et capteurs.
«Pic de pollution», avait annonce une voix de synthese dans l’avion, avant l’atterrissage a New Delhi. Ali-Baptiste avait tique: pour que les tres laxistes autorites indiennes alertent sur ca, c’est qu’elles devaient etre desesperees.
Apres avoir deconseille toute activite physique, la voix avait invite les individus nos plus curieuses a trouver Sans compter que amples explications sur l’ecran situe devant elles: en cette saison, avant nos semailles, nos paysans brulent leurs champs, creant d’epaisses colonnes de fumee qui bloquent sous elles l’air de la ville, plus froid, aussi rapidement qu’un couvercle.
Sans c’est quoi tinychat transports en commun dignes de ce nom, New Delhi etouffe sous des dizaines de millions de vehicules –30.000 nouvelles immatriculations par jour: en Inde et en Afrique se trainent Afin de y mourir des dernieres voitures a essence d’une planete.
I propos des routes de New Delhi, le 6 decembre 2018 | Xavier Galiana / AFP
– Je serais mieux avec ma petite femme, moi je te le dis, avait bougonne Florian, tandis que sa ceinture se bouclait toute seule. Elle reste enceinte jusqu’au cou et on m’envoie a l’autre bout de l’univers! – Allons, c’est moyen bon pour notre business, avait retorque Ali-Baptiste, agace via cet embryon de rebellion.
Le business en brume empoisonnee
La route jusqu’a l’hotel se deroule dans un tunnel de coton, mais de coton apres demaquillage: gris sale, masquant bien du paysage indien. En plein jour et malgre ses lentilles, Florian ne voit nullement le bas des immeubles, meme de ceux qui jouxtent la route.
Ali-Baptiste le console en lui racontant qu’il ne rate jamais grand-chose: des voies rapides engorgees de camions, des chantiers qui n’en finissent nullement, des zones industrielles et des decharges a ciel ouvert –un paysage aussi laid qu’irrespirable.
Bientot deux milliards d’ames en Inde, c’est deja plus que J’ai Chine, qui s’est urbanisee et regule ses naissances. L’Inde, celle-ci, sera alors a moitie paysanne, toujours en tension nucleaire avec le Pakistan: on devoile la guerre imminente depuis un demi-siecle, justifiant un menu i chaque fois plus autoritaire.
– La pollution reste pire que prevue parce qu’avant-hier, les hindous fetaient Diwali, precise Ali-Baptiste dans un taxi brinquebalant, tacot improbable en France. Malgre l’insistance des interdictions officielles, les habitants de Delhi font exploser chaque annee des millions de petards pour une telle fete des lumieres. Cela n’est gui?re une expression: quarante-huit millions de detonations enregistrees dans la nuit pour une telle edition 2037. Depuis, gui?re un souffle d’air n’est venu chasser les relents capiteux de la tradition… – Tu te fais poete, maintenant?
Cela ricane, mais Florian est affreusement decu. Leslie a reclame un cliche de son mari devant 1 temple hindou: sauf gros coup de vent et dispersion du brouillard, c’est rape. Il va devoir demander a Ali-Baptiste de photoshoper la scene.
– Jamais nous n’avons autant suffoque, assure le receptionniste de l’hotel, croyant rassurer le pensionnaire.
Rate. Florian se gratte la paume des mains, flippe a l’idee d’ingerer du cancer pur aussi qu’il va sous peu devenir pere. Stresse, il cligne systematiquement des yeux; il doit pourtant presenter le iris pour identification, puis son index.
Florian Develle, c’est beaucoup lui. Ne a Nancy, Il existe trente-huit ans. Vit a Orsay, en region parisienne. Comme l’integralite des bebes de 1999, il a failli s’appeler Zinedine –il affiche aujourd’hui la meme calvitie que le heros de l’epoque. J’ai tonsure de Zidane, mais pour le demeure du corps, c’est plutot un Guivarc’h sous cortisone. Chatain, gros nez, doigts poilus, traits grossiers. Commercial pour SaniAir, le fabricant de ventilateurs-depollueurs. En mission a Delhi, visa de quatre heures, peut-etre Bangalore, on le fera prolonger.
– Tout reste en regle, monsieur Develle. Chambre 203. Prenez l’ascenseur, puis c’est au bout du couloir. Je vous aspire i un agreable sejour parmi nous, le robot-porteur va vous rejoindre avec la valise.
Un receptionniste humain, ca n’existe plus en France –peut-etre en grands palaces, mais Florian ne les frequente gui?re. Ali-Baptiste capte son acolyte occupe i beer devant votre specimen indien tel on regarde 1 carrousel, un orgue de barbarie, un doux souvenir d’enfance. H vibrations de l’?uf dans la poche –son traditionnel rappel a l’ordre– ramenent Florian en 2037.
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